Extraits de « La corrida de toros en Madrid » de 1853

Ernest Coeurderoy était médecin, anarchiste, poète. Exilé après la révolution de 1848 , il a vécu en Suisse, en Italie, en Angleterre, et en Espagne.

En Espagne le spectacle des courses de taureaux le fait souffrir.

Il souffre de la souffrance des taureaux, ce qui a dû apparaître aux bons esprits de l’époque, comme cela apparaîtra à ceux d’aujourd’hui, assez ridicule.

Il se suicide à Genève en 1862.

Extraits de « La corrida de toros en Madrid » de 1853

Chapître X

………………………

Il se trouve des taureaux – le nombre en est restreint – qui refusent d’attaquer le cheval, soit que leur humeur du moment ne soit pas batailleuse, soit qu’ils gardent bon souvenir de l’animal qui paissait avec eux.

Ceux-là sont les lâches : cobardes ! cobardes ! Et ils mourront de la mort des lâches, de la muerte ignominiosa !

Bon gré, mal gré, il faut qu’ils luttent et que mort s’en suive.

Sept ou huit bouledogues sont déchaînés dans le cirque. Ils courent au taureau. Les uns le saisissent à la gorge, les autres aux flancs, les autres aux jarrets. La plupart, guidés par un instinct sûr, passent entre ses jambes de derrière et le déchirent aux sources mêmes de la force et de la vie.

C’est une affreuse douleur. Hors de lui, le taureau fait tournoyer deux ou trois chiens en l’air, les éventre quand ils retombent, puis s’affaisse, vaincu par le nombre. Alors un homme vient par côté, qui lui enfonce l’espada entre les dernières côtes et l’étend raide mort.

Il est une torture plus épouvantable encore. Il faut en avoir été témoin pour se faire une idée de la barbarie de l’homme poussée jusqu’au délire.

Quand l’espada ne parvient pas à sacrifier le taureau assez vit pour satisfaire l’impatience générale, un cri s’élève, d’abord rare, poussé par les afectionados les plus scrupuleux : la media-luna ! la media-luna !

- La media-luna est une sorte de longue faux courbée en croissant et tranchante sur sa concavité. –

Peu à peu la clameur grossit, elle devient sinistre, immense, impérieuse. Le corregidor finit par céder aux réclamations du public, et les toreros, confus de leur impuissance, doivent obéir à l’ordre qu’ils reçoivent.

Tout à coup l’animal a fléchi. Il ne lui reste plus que trois jambes. Mais ainsi mutilé, il fait encore face à l’ennemi.

Il s’affaisse de nouveau. Deux fois, trois fois encore, le tranchant de la faux crie sur ses articulations brisées.

Et maintenant la voilà, la noble bête, qui se traîne sur ses moignons et se défend plus vaillamment que jamais.

Rien n’irrite plus l’homme que la contemplation de sa propre honte. Tant que ce taureau ne sera pas sorti de l’arène, le matador y verra le sujet de son déshonneur.

Qu’on l’achève ! m’écriai-je aussi. Car cette boucherie est de celles dont on ne peut supporter la vue.

Encore un roulement de mort ! C’est le tour du cachetero.

- Ici chaque scène de meurtre est une spécialité qui veut être exécutée par un acteur habile. – L’homme noir monte sur le dos du taureau ; d’une main ferme il lui plante entre les deux premières vertèbres une lame étroite avec laquelle on ne frappe jamais deux fois.

On peut tout voir quand on a vu cela !

Les vaches rouges, 12/04/2008

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