Le condamné à mort

Un texte de Josée Barnerias

Je tiens cette histoire d’une amie, qui l’a vécue et qui me l’a racontée. Elle m’a particulièrement bouleversée, parce que je sais qu’elle est loin de représenter un cas isolé.

C’est l’histoire d’un grand chien blanc, superbe et plein de vie, une vie qu’il a dû quitter à cinq ans. Parce qu’il a été condamné à mort.

Depuis son plus jeune âge, ce dogue argentin vivait dans un camion transformé en caravane, avec un jeune homme sans travail, sans argent. Il était toujours enfermé là, avec une compagne de la même race que lui et du même âge. Pendant des années, le seul droit qu’on leur accordait c’était de se reproduire, et de se reproduire encore. Lorsque la chienne avait donné naissance à une portée, celle-ci était vendue, et on attendait la suivante. C’était un revenu substantiel qui venait s’ajouter au RMI du maître des deux chiens. Un jour, le jeune homme a confié le chien à sa mère. Celle-ci se promenait avec lui lorsqu’ils ont croisé un rottweiller. Le grand chien blanc a attaqué. La femme a voulu intervenir, et il l’a mordue cruellement au bras.

Ensuite, l’affaire s’est envenimée. La justice, je ne sais ni comment ni pourquoi, s’en est mêlée. A la mi-octobre, le grand chien blanc a été saisi par la police qui l’a déposé dans un refuge, celui-là même dont s’occupe l’amie qui m’a raconté cette histoire. Au début, les gens du refuge, sans avoir vraiment peur de ce chien, étaient prudents avec lui. Il s’est montré tellement gentil, tellement tendre, tellement intelligent, que tout le monde s’est mis à l’aimer. C’était probablement la première fois qu’on lui témoignait un peu d’affection. Il semblait heureux. On ne voulait pas penser à l’avenir. Les juges, la police, cela était loin. Le grand chien blanc était en sécurité au refuge.

Et puis un jour de décembre, les policiers sont revenus, porteurs d’un message : le grand chien blanc devait être exécuté le lendemain, entre 15 heures et 16 heures, très précisément. Le juge, sans vraiment savoir, sans jamais avoir rencontré le chien, avait signé la sentence de mort. Ca n’était qu’un chien. Rien ni personne ne pouvait empêcher l’implacable justice de faire son sale boulot. Alors, le lendemain, dès midi, la mort dans l’âme, les gens du refuge ont donné beaucoup de tranquillisants au grand chien blanc, qui ne savait pas qu’il allait partir là où l’attendaient peut-être tous les innocents du monde. On l’a réconforté, on l’a accompagné. Le vétérinaire lui a fait une piqûre qui l’a profondément endormi, et puis une autre, qui l’a tué. Mon amie me disait : « C’est une colombe, c’est un ange, qui est parti. Jamais je ne pourrai l’oublier. »

Elle avait mal d’avoir dû participer à cette tuerie, comme moi aussi j’ai mal aujourd’hui de raconter cette histoire bête, qui dit tout de l’innocence des uns, de la cruelle inconscience des autres. La peine de mort a été abolie… Pas tant que cela.

Quant à l’ancien maître du grand chien blanc, il n’a pas été inquiété. La chienne blanche est toujours avec lui. Jusqu’à ce que, lorsqu’elle sera incapable de donner davantage, on l’envoie rejoindre son ancien compagnon… Dans l’indifférence générale.

Les vaches rouges, 13/12/2006

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